Il y a d’abord eu les tergiversations autour du port du masque, suivi du premier confinement, le plus éprouvant pour beaucoup de couples et de familles, et des suivants, auxquels nombreux d’entre eux n’ont pas survécu. Après les couvre-feux limitant toute vie sociale, c’est aujourd’hui la pression sur la vaccination anti COVID qui vient mettre le coup de grâce à un taux effarant de couples et menace durablement les familles autrefois unies. Tentons une explication.
Depuis le COVID, l’autre est perçu comme un étranger au sein-même de sa famille
Lorsque j’évoque des sujets de société avec mes proches, il arrive que je découvre chez eux une part d’ombre que je ne voulais pas voir avant, ou que je n’avais pas découverte jusque-là, et qui me déplaît. Pourtant, si je cherche un peu en moi, je vais aussi trouver des recoins pas jolis-jolis que mes proches pourraient découvrir… mais l’humain est ainsi : il voit facilement le défaut chez l’autre mais pas trop chez-lui-même.
Pour reprendre le titre d’un spectacle de Gad Elmaleh : « L’autre, c’est moi ». Ce qui me plaît chez untel m’inspire et m’appelle. Je me reconnais parfaitement dans cette personne ou ce groupe. Je veux le rejoindre, adhérer à ses idées, être proche. Ce qui me déplaît chez tel autre me rebute. Hors de question qu’on m’identifie à cette personne ou ce groupe ! Vite ! Je m’éloigne. Or, pas de chance, cette personne, c’est mon conjoint, ma cousine, mon collègue de (télé)travail. Ce groupe, c’est mon environnement familial et social.
Pour rester à peu près unis et éviter de se fâcher avec les trois-quarts de mon environnement familial et social, il va falloir que je priorise mes intérêts : être aimé(e) de celles et ceux qui m’aiment déjà et admettre cette part déplaisante en eux, ou renoncer à ce qui nous lie jusque-là et défendre mes convictions, quitte à créer un fossé qui nous laissera définitivement étrangers les uns aux autres ?
La difficulté d’un tel choix est que renoncer à ce qui nous lie revient à renoncer à une part de ma propre identité. Je suis le fils, l’épouse, le frère de cette personne qui me heurte lorsqu’elle tient des propos avec lesquels je suis en désaccord. Si je mets une croix sur la relation que nous avons, depuis parfois des décennies, je délaisse dans le même temps ce que cette personne a aimé chez moi… et a admis, bien que certains aspects de moi lui déplaisaient. Mounia[1], 41 ans, en témoigne :
« Au début, on n’était pas d’accord sur le port du masque, encore moins à l’école, les attestations de déplacement à télécharger sur nos portables, l’appli Tous anti-Covid, le traçage permanent de nos données… mais au moins on se parlait. Maintenant, on se braque pour un rien, c’est hyper-tendu à la maison. J’aimerais tant qu’on redevienne amoureux comme avant. Mais même ça je le lui reproche. »
Encore un confinement et je cherche un appart
Depuis que le COVID a envahi nos espaces publiques, privés et psychiques, certains couples tiennent à un fil. « Encore un confinement et je cherche un appart. », me disait Laure-Éline, mariée avec Saïd, père de leurs deux enfants.
Mais il arrive que rompre un lien conjugal, amical ou familial s’impose de soi-même, comme un délitement inévitable, notamment quand la tolérance est à sens unique. Une parenthèse s’ouvre sans que l’on sache vraiment ni quand ni si elle se refermera.
« Mon beau-père m’exaspère. Je l’appelle « le ministre ». À l’entendre, il a tout lu sur le COVID, il connaît tout. Et ma femme boit ses paroles. Elle qui militait quand nous étions étudiants, je ne la reconnais pas : elle me discrédite auprès de notre famille, je n’ai plus aucun espace de pensée à moi. J’ai fini par dire à ma femme que je ne serai plus là quand son père y sera. »
J’ai cessé de lui mettre la pression pour se faire vacciner
Comment faire alors pour maintenir son couple et sa famille unis face à cette crise sanitaire inédite ? Plutôt fataliste, Leila, 38 ans, orthoptiste en libéral, a choisi de garder ses idées pour elle afin de préserver un certain équilibre dans sa vie de couple et dans ses relations avec ses proches.
« Dès que j’ai appris que la vaccination était ouverte aux professionnels de santé, je me suis ruée sur les prises de rendez-vous car je ne voulais pas prendre le risque de contaminer mes patients et j’avais vu un ami sortir de réanimation quelques mois plus tôt. Ensuite, la vaccination a été ouverte aux plus de 18 ans. Mon conjoint me disait qu’il n’était pas contre l’idée de se faire vacciner, mais il ne se dépêchait pas non plus pour réserver ses créneaux. Certains de mes proches étaient quant à eux toujours sceptiques, ils me disaient que nous n’avions pas assez de recul sur le vaccin, qu’ils avaient lu qu’il y aurait des effets secondaires à long terme, voire que le vaccin allait changer mon code génétique. Je les laissais libres de leurs paroles pour ne pas alimenter un débat qui me semblait stérile, mais je rétorquais parfois : « De toute façon, vous verrez qu’on y aura tous droit, même si aujourd’hui on nous dit qu’il n’y aura pas de pass sanitaire. » Et en juillet, bingo ! Emmanuel Macron annonce que le pass sanitaire sera obligatoire dans les lieux de culture, puis pour accéder aux restaurants, musées… pile au moment où, comme des millions de français, nous commencions nos vacances en famille.
Mon conjoint s’est alors empressé de réserver ses créneaux et nous nous sommes retrouvés pour une partie des vacances privés de sorties du fait qu’il n’avait pas encore son pass. Nous avons connu quelques tensions, mais très vite nous nous sommes dit qu’il ne fallait pas que nous tombions dans ce piège qui pourrait faire mal à notre couple et à notre famille. Nous avons pris le parti de faire avec. Lorsqu’il faisait beau, nous profitions de tous les lieux accessibles sans pass et quand il faisait mauvais temps, nous trouvions des occupations en famille. Certes, ce n’était pas les vacances idylliques que nous avions projetées, mais nous en avons pris notre parti et ça ne nous a pas empêchés d’être heureux et de nous aimer. »
[1] Les identités ont été changées